Bonjour la Tribu !
J’espère que vous allez bien.
Comme chaque fois que je vous écris ici, je ressens cette petite joie intérieure de vous retrouver pour vous partager mes dernières explorations sur l’art de Faire Tribu.
Et aujourd’hui, j’ai envie de vous embarquer avec moi dans une parenthèse hors du temps. Il y a quelques jours, j’ai eu la chance de plonger au cœur d’une utopie communautaire aussi inspirante que méconnue.
Imaginez, une usine de poêles qui se transforme en coopérative au XIXᵉ siècle afin d’améliorer les conditions de vie des ouvriers et de leurs familles.
Baisse du temps de travail pour une hausse des salaires
Répartition de la valeur équitable
École gratuite et mixte
Cette communauté, c’est le Familistère.
Plus de 1700 personnes qui vivent ensemble et se partagent équitablement les richesses d’une grande industrie française.
Non, vous ne rêvez pas.
Tout ça s’est passé il y a plus d’un siècle à quelques kilomètres de Saint-Quentin (ma région de cœur).
Mais comment une telle communauté a-t-elle pu se concrétiser ?
Comment les employés ont-ils été embarqués dans cette initiative ?
En quoi cela peut-il nous inspirer pour nos propres tribus ?
C’est ce que nous allons explorer dans cet article.
Car je suis persuadé que les histoires d’hier éclairent les routes de demain.
Celle du Familistère peut être un guide pour toutes les personnes qui souhaitent (re)mettre le collectif au cœur de leur projet.
Prêt·e à explorer ?
L’histoire du Familistère
Comment tout a commencé …
Nous sommes en 1817, c’est la naissance de Jean-Baptiste André Godin.
Fils d'artisan serrurier, il arrête l'école à 11 ans afin de se former au travail des métaux.
5 ans plus tard, il part faire un tour de France avec son cousin afin de se former auprès d’autres artisans.
Ce voyage le marquera à jamais.
Partout où il va, il fait le même constat : les conditions de vie et de travail des ouvriers sont désastreuses.
Ce qu’il a vécu personnellement depuis son enfance n’est pas un cas isolé mais un problème systémique.
Pour vous donner une petite idée, à cette époque, l'espérance de vie d'un artisan fondeur est de 36 ans. (C’est comme s’il ne me restait plus que 10 ans à vivre. Petite sueur froide …)
En revenant de ce tour de France, il se fait alors une promesse : améliorer les conditions de vie des ouvriers en France.
De l’idée à l’utopie
En 1840, Jean-Baptiste André Godin ouvre son atelier de serrurerie et dépose un premier brevet pour un poêle en fonte de fer.
Une idée originale qui lui apportera un formidable succès : les fameux poêles Godin (si vous ne connaissez pas, demandez à vos ainés, ils auront la ref’).
En 15 ans, l’entreprise se développe rapidement jusqu’à atteindre plus de 300 ouvriers dans l’usine.
C’est, pour Godin, le bon moment de concrétiser l’utopie qu’il idéalise depuis plusieurs années : le Familistère.
Sa vision :
"On ne peut faire un château pour chaque ouvrier : il faut donc, pour une Équitable Répartition du bien-être, créer le Palais dans lequel chaque famille et chaque individu trouveront ces ressources et ces avantages réunis au profit de la collectivité."
Autrement dit, comme il ne peut pas assurer un mode de vie bourgeois à tous ses employés individuellement, il décide de le leur offrir collectivement.
La naissance du Familistère
En 1857, se lance alors la construction du Familistère : un palais social pensé comme un contre-modèle à la misère ouvrière.
Concrètement, Godin décide de construire des logements collectifs à quelques mètres de l’usine contenant :
Une école gratuite et mixte.
Un théâtre.
Un économat (supermarché coopératif).
Une piscine pour apprendre à nager (l’un des premiers facteurs de décès dans la région à cette époque).
Et bien d’autres aménagements qui améliorent la vie de ses employés.
En parallèle, Godin développe tout un système afin de maintenir une véritable harmonie sociale basée sur le bien-être de ses salariés.
Pour cela :
Il baisse le temps de travail (de 14h à 10h par jour et de 7 jours à 6 jours de travail) en l’accompagnant d’une hausse des salaires.
Il met en place un système de santé pour instaurer les normes d’hygiène encore très absentes à cette époque.
Il œuvre en faveur de l’émancipation des femmes, en instaurant des avancées majeures comme le congé maternité.
Tout cela peut vous paraître ridicule aujourd’hui, mais en 1860 c’est une véritable révolution !
Et encore, je ne vous ai pas parlé de toutes les mesures mises en place pour protéger l’environnement. Car pour Godin, « Si les ressources naturelles sont limitées, il est de notre devoir de les partager équitablement ».
Bref, c’est ce qu’on appelle être en avance sur son temps.
De l’usine à la coopérative
Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
Car en 1880, Godin décide d’aller encore plus loin.
Son intuition :
"Travailler pour le bonheur général est le vrai moyen de conquérir le bonheur particulier."
Alors, il transforme le Familistère en Association coopérative du capital et du travail.
Les ouvriers deviennent copropriétaires.
Ils gèrent ensemble leur lieu de vie et leur outil de production.
Et partagent collectivement les bénéfices de l’entreprise.
L’une des premières coopératives de cette ampleur en France.
En 1884, près de 1 750 personnes vivent ensemble au sein de ce Familistère avec ce système de partage de la richesse.
Je trouve ça complètement fou. C’est la taille du village dans lequel j’ai grandi.
Néanmoins, cette utopie prendra fin en 1968.
Après plus de 100 années d’existence, les mauvais résultats financiers de l’entreprise les obligent à dissoudre l’association coopérative.
L’entreprise est revendue et la plupart des ouvriers quittent le Familistère.
Heureusement, quelques personnes continuent aujourd’hui à faire vivre ce lieu pour partager les enseignements de cette belle utopie.
Ils ravivent les braises de cette initiative hors du commun pour que nous puissions à notre tour (re)mettre le bien-être du collectif au cœur de nos projets.
Mais alors concrètement, que pouvons-nous apprendre de cette initiative ?
Mes apprentissages pour Faire Tribu
1️⃣ INCARNER, INCARNER, INCARNER
Godin avait une obsession : ne pas seulement penser la nouvelle société, mais la mettre en œuvre.
La traduire dans chaque détail du quotidien. Faire en sorte qu’elle prenne corps, ici et maintenant.
Et c’est un facteur puissant pour embarquer un collectif.
Je ne le dirai jamais assez : ce qui fédère une communauté, ce n’est pas un plan, c’est une vision.
C’est la raison pour laquelle vos membres ont décidé de vous rejoindre.
Mais cette vision ne se partage pas qu’avec des mots, il faut que chaque membre puisse la vivre dans son quotidien, la ressentir au plus profond de son être.
C’est pourquoi, au sein du Familistère, tout a été pensé pour que cette fameuse vision devienne vivante et tangible pour tous les membres de la communauté : l’architecture, l’organisation des espaces, les services mutualisés…
Ne pas uniquement parler d’égalité des chances, mais mettre en place une école mixte.
Ne pas uniquement parler de partage des richesses, mais transformer son entreprise en coopérative.
Car pour Godin, ce n’est pas ce que tu proclames qui change le monde, c’est ce que tu incarnes.
Et cela me touche profondément.
Car je me rends compte que la question la plus essentielle pour embarquer son collectif n’est pas : Est-ce que je partage clairement notre vision commune ?
Mais plutôt : Est-ce que je l’INCARNE sincèrement dans mon quotidien ?
Je crois que Godin se posait cette question chaque jour.
Et cela me pousse, moi aussi, à l’intégrer dans ma vie de tous les jours.
Quand j’écris cette newsletter, quand je prépare une conférence, quand j’anime une communauté… Est-ce que j’incarne sincèrement le monde que je veux voir advenir ?

2️⃣ SI L’IDÉE CRÉE L’ÉTINCELLE, C’EST LE COLLECTIF QUI ALLUME LE FEU !
En lisant cet article, on pourrait croire que toute cette aventure s’est déroulée sans accroc. Que Godin a créé le Familistère en un claquement de doigt avec le soutien invétéré de ses ouvriers.
Mais la réalité est bien différente.
Pour faire naître cette utopie, Godin a dû affronter de nombreux obstacles, tant à l’extérieur qu’au sein même de sa communauté.
Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, en 1880, les salariés n’étaient pas très enthousiastes à l’idée de devenir actionnaires de la coopérative.
Pour vous donner une petite idée : sur 1 000 employés, seuls 4 ont voté « pour » la création de la coopérative.
Il faudra plus de trois longues années de dialogues et de pédagogie pour que les salariés se sentent pleinement impliqués dans ce projet. Moment à partir duquel la coopérative a véritablement commencé à fonctionner harmonieusement.
À première vue, cela peut sembler absurde de rencontrer autant de résistance face à un projet pourtant conçu pour améliorer leurs conditions.
Mais, cet exemple illustre une vérité essentielle : derrière chaque grand projet, il faut savoir prendre le temps de mobiliser son collectif.
Car une idée, sans mobilisation, reste un simple point de départ. Le véritable défi, c’est d’embarquer son équipe, de la faire adhérer pleinement.
Et, j’irais même plus loin, en reprenant cette célèbre phrase que l’on m’a récemment rappelé : « Tout ce que tu fais pour moi, sans moi, tu le fais contre moi ».
3️⃣ AVOIR DU SANG NEUF
Lorsque j’ai demandé à des historiens du Familistère la raison de son déclin, tous étaient unanimes dans leur réponse : le manque d’ouverture vers l’extérieur.
C’est l’une des raisons principales des échecs de communautés que j’observe.
Si la communauté ne s’ouvre pas sur le monde, tant en collaborant avec des acteurs extérieurs qu’en intégrant de nouveaux membres, alors, au bout d’un moment, le collectif se meurt.
Avoir du sang frais dans sa communauté permet d’avoir de nouveaux regards et de bénéficier de la richesse de la diversité.
Bref, c’est ce qui nous permet de se réinventer, d’évoluer avec son temps.
Malheureusement, au fil des années, le Familistère s’est refermé sur lui-même.
Moins ouvert sur le monde, sa capacité d’innovation s’est atténue. Les relations avec les autres habitants de la ville se sont tendues.
Ils ont peu à peu perdu contact avec le monde. Et par conséquent, leur capacité à évoluer avec lui.
Résultat : les ventes ont chuté, et ils ont dû mettre la clé sous la porte.
Je comprends mieux maintenant ce que voulait me partager le dirigeant d’une PME, lorsqu’il me confiait :
“Ma plus grande source d’inspiration, ce ne sont pas les livres d’innovation. Ce sont les rapports d’étonnement des nouveaux collaborateurs. Ils sont à l’origine des plus grandes transformations internes de l’entreprise.”
Cela renforce une conviction profonde que j’ai dans les collectifs :
Apporter du sang neuf, c’est maintenir la vie de sa communauté.
Et si on continuait l’exploration ?
Je vous remercie de m’avoir lu jusqu’ici !
J’espère que ces quelques lignes seront fidèles à l’héritage du Familistère, car ce lieu est pour moi une immense mine d’inspiration qui gagnerait à être connu.
Que l’on soit dirigeant, responsable de communauté, manager ou tout simplement une personne qui croit en la puissance du collectif, le Familistère a énormément à nous apprendre.
J’ai eu la chance d’être invité par Alain Bosetti et Marianne Landriau de l’agence En Personne qui souhaitait rassembler une petite tribu d’entrepreneurs dans ce lieu si porteur de sens.
J’en suis reparti tout autant inspiré que frustré de ne pas avoir plus de temps pour explorer ce sujet.
À tel point que … je me suis dit qu’on ne pouvait pas en rester là.
Il fallait partager cette pépite au plus grand nombre. Permettre à d’autres personnes de s’immerger au Familistère pour prendre du recul, s’outiller et explorer ensemble des façons d’apprendre et d’agir collectivement.
Et donc grande nouvelle : dès la rentrée, on lance ensemble les premières Learning Explorations pour explorer l’art de Faire Tribu au cœur du Familistère.
👉 Je vous invite à remplir ce court formulaire, si vous souhaitez recevoir les informations en avant-première.
Je vous souhaite une très belle journée !
Prenez soin de vous. 🫶
Hugo
Belle histoire, que je connaissais de loin
Je retiens : "ce n’est pas ce que tu proclames qui change le monde, c’est ce que tu incarnes. "
« Tout ce que tu fais pour moi, sans moi, tu le fais contre moi » et enfin "Avoir du sang frais dans sa communauté permet d’avoir de nouveaux regards et de bénéficier de la richesse de la diversité"
Tellement inspirant merci pour cet épisode ! Hyper précieux !