Je m'immerge dans une coloc' pas comme les autres ...
La théorie du don / contre don en action
Bonjour la Tribu,
J’espère que vous allez bien.
Je vous écris cette édition depuis mon siège de train en partance de Toulouse, le cœur encore rempli d’une soirée incroyable. Entre deux déplacements pour la promotion de mon livre Faire Tribu, j’ai eu la chance d’être invité par l’association Lazare à découvrir la vie de leur colocation pas comme les autres.
Le principe ? Faire vivre ensemble des personnes anciennement sans-abri et de jeunes actifs désireux de donner du sens à leur quotidien.
Cette soirée m’a reconnecté à un principe fondamental pour Faire Tribu : la théorie du don / contre-don.
Pendant des millénaires, cette logique d’échange a été le socle invisible de nos communautés humaines. Alors… comment s’en inspirer aujourd’hui pour engager nos collectifs et renforcer le lien entre nous ?
Laissez-moi vous raconter.
⌚ Temps de lecture : 6 minutes
🏘️ Bienvenue aux maisons Lazare
Il est 19h quand j’arrive à la maison.
À peine le pas de la porte franchi, Lionel et Emmanuel m’accueillent avec un sirop de rhubarbe accompagné de quelques cacahuètes.
Autour de la table, les rires sont déjà là.
Impossible de deviner qui, ici, a connu la rue et qui ne l’a pas.
Je balaie rapidement cette question de mon esprit. Après tout, qu’est-ce que ça change ? Ce qui compte, c’est ce qui se vit, là, maintenant.
On profite de la douceur des températures toulousaines et les échanges commencent tranquillement. Les mots circulent, les regards se croisent. On fait connaissance, simplement.
Au fur et à mesure, des personnes nous rejoignent et la table s’agrandit !
Au travers de leurs récits, je comprends mieux la vision de Lazare : pour eux, les relations humaines sont tout aussi essentielles qu’un toit pour sortir de la rue.
Et ce soir-là, je le ressens profondément : ici, on ne fait pas juste "colocation", on fait communauté.
Et si vous doutiez encore de l’importance de se sentir appartenir à une tribu, en voici quelques chiffres :
98% des colocs se sentent acceptés tels qu'ils sont aujourd'hui alors qu'ils n'étaient que 15% avant Lazare
85% des colocs disent avoir aujourd'hui un projet personnel ou professionnel alors qu'ils n'étaient que 25 % avant d'arriver à Lazare
75% des colocs qui ont une addiction se sentent soutenus, et 57% se sentent mieux vis-à-vis de leur addiction depuis qu'ils sont à Lazare
La puissance d’une tribu. Tout simplement bluffant.
Le dîner se prolonge dans une atmosphère chaleureuse, autour d’un plat de pâtes fumant préparé avec cœur par Philippe. Les rires fusent, les histoires de colocs s’entremêlent aux nouvelles du jour, entre recherches d’emplois et anecdotes de travail.
Ça parle fort, ça vit, ça partage. Le genre de moment simple mais rare, où l’on sent que quelque chose circule.
Et puis soudain, Lionel annonce l’heure de la vaisselle !
En un clin d’œil, tout le monde se lève. Les assiettes sont empilées, les couverts rassemblés, les verres collectés. Une chorégraphie collective se met en place, fluide et naturelle : l’un rince, l’autre frotte, un troisième essuie, pendant qu’un dernier range le tout avec méthode.
Je saisis un torchon et m’insère dans la chaîne, quand Tiphaine me souffle à l’oreille avec un clin d’œil complice :
— “Tu sais, dans les maisons Lazare, on n’a jamais de lave-vaisselle. C’est fait exprès. Ça nous pousse à donner un coup de main, à passer du temps ensemble, à faire communauté.”
Je souris. Parce que, oui, moi aussi, j’ai ce souvenir là : les longues discussions autour de l’évier pendant les repas de famille. Ces bulles suspendues entre deux générations, entre deux assiettes, où la vaisselle devient un moment de lien.
Mais ici, j’ai l’impression que ce moment est encore plus profond : Ce rituel devient un véritable geste d’engagement.
Une manière discrète mais puissante de prendre soin les uns des autres.
Il y a même un nom pour ça : la théorie du don / contre-don.
🤝 La théorie du don / contre don
Cette théorie a été développé par l’anthropologue français Marcel Mauss en 1925. Dans son ouvrage "Essai sur le don", il y observe que dans de nombreuses sociétés traditionnelles, les échanges ne se font pas avec de l’argent comme aujourd’hui, mais à travers des dons.
Il explique que “donner”, ce n’est pas seulement offrir gratuitement. C’est entrer dans une relation.
Selon Mauss, le don se structure en trois étapes essentielles :
1️⃣ DONNER
→ On offre quelque chose à quelqu’un (un objet, un service, une invitation…).
2️⃣ RECEVOIR
→ L’autre accepte le don. Ce n’est pas anodin : en acceptant, il reconnaît le lien.
3️⃣ RENDRE
→ À un moment, celui qui a reçu va donner à son tour, pour maintenir l’équilibre et ne pas rester « en dette ».
Le don, chez Mauss, n’est jamais complètement « gratuit ». C’est une forme d’échange qui crée du lien et structure la vie en société.
C’est pour cela que de nombreuses communautés ont formalisé un temps de service, comme celui de la vaisselle chez Lazare :
Les gâches chez les Compagnons du Devoir, qui sont les responsabilités à réaliser pour faire tourner la maison compagnonnique.
La seva dans les traditions spirituelles indiennes, pour apprendre à offrir sans attendre en retour.
Le dugnad en Norvège, où les habitants d’un immeuble, d’un quartier ou d’un club se retrouvent une à deux fois par an pour effectuer ensemble des tâches collectives (nettoyage, réparations, etc.)
Au-delà de l’apport logistique, ces temps de service sont précieux pour ces communautés car ils créent :
Du lien social : le don crée des obligations réciproques et renforce les liens entre les personnes.
De la confiance : on donne sans exiger tout de suite un retour, mais on fait confiance à l’autre pour qu’il rende un jour.
Une économie relationnelle : on échange, non pas pour gagner, mais pour entretenir la relation.
En fait, faire la vaisselle chez Lazare ou en famille, ce n’est pas simplement laver des assiettes, c’est avant tout entretenir nos relations communes.
📄 Ce que j'en retire pour Faire Tribu
La théorie du don / contre don est pour moi un moyen extrêmement puissant de souder un collectif. Mais au travers de mon exploration des différentes communautés, j’ai compris qu’il y avait une condition essentielle pour qu’elle puisse fonctionner :
OFFRIR UN ESPACE pour que chacun puisse donner et rendre à sa façon.
Cela permet de structurer l’échange du don, tout en laissant de la liberté sur la manière de l’effectuer.
Concrètement, on pourrait alors imaginer une structure dans laquelle chaque personne est incitée à donner une heure de son temps à la communauté.
Par exemple, dans une entreprise, chaque collaborateur pourrait s’engager pendant 1h à :
Offrir une session “j’aide sur ce que je sais faire” (Excel, storytelling, Figma…).
Mentorer de jeunes recrues.
Intervenir dans une école locale pour présenter son métier.
Contribuer à un open source ou une base de connaissances métier.
Personnaliser un espace de travail (plantes, fresque murale, coin lecture...).
Les bénéfices seraient incroyables :
Meilleure cohésion d’équipe.
Émergence d’une culture d’entraide.
Renforcement du sentiment d’appartenance.
Et on pourrait bien sûr faire la même chose à l’échelle de sa famille, de son quartier ou de son association.
Pour terminer cet article, je vous invite donc à vous demander :
👉 Comment puis-je permettre à chaque personne de ma tribu de donner et rendre à sa façon ?
N’hésitez pas à me partager vos plus belles idées en commentaire ou en réponse de ce mail !
📙Des nouvelles de Faire Tribu
Et sinon, du côté du livre, après une soirée de lancement hors du temps, la promo avance bien et les premiers retours sont très enthousiasmants. Quel plaisir de lire les messages de certains lecteurs qui découvrent mon travail.
D’ailleurs, certaines librairies sont déjà en rupture de stock. Vous êtes formidables !
Pour me soutenir et continuer à nourrir cette belle dynamique :
📢 En parler autour de vous. Rien n’est plus puissant que le bouche-à-oreille. 80 % des livres que je lis me sont recommandés par mes proches
⭐ Laisser une note sur Fnac. C’est l’un des premiers leviers de vente. Alors, même si vous l’avez acheté chez votre libraire préféré, vous pouvez laisser un petit commentaire sur la Fnac (c’est super précieux)
🎤 Organiser une conférence au sein de votre organisation pour propager l’art de Faire Tribu.
Merci d’avoir pris le temps de me lire jusqu’ici.
Je vous souhaite une très belle journée !
Prenez soin de vous. 🫶
Hugo
Merci Hugo pour ce message énergisant. J'étais récemment à L'Esvière, à Angers (https://esviere-fondacio.fr/le-tiers-lieu/), qui se veut un tiers-lieu pour impulser une nouvelle manière d’habiter notre planète et d’y vivre tous ensemble. Si tu ne connais pas, ça devrait t'intéresser.
Bonne continuation,
Jacques